Rien ne va plus au Togo, petit pays d’à peine 8 millions d’habitants, pris en sandwich entre le Ghana et le Bénin — deux démocraties qui passent pour exemplaires. Les libertés civiles dont jouissent les citoyens de ces deux pays depuis le début des années 1990 et les nombreuses alternances démocratiques qu’ils ont connues n’ont toujours pas déteint sur leur voisin : le Togo abrite désormais le dernier régime familial autoritaire d’Afrique de l’Ouest.
Depuis la chute de Yahyah Jammeh en Gambie,le 2 décembre 2016, Faure Gnassingbè, 51 ans, est le seul dans la sous-région à perpétuer l’emprise d’un clan, d’un corps (l’armée) et d’une ethnie sur le pouvoir. Tous trois ont été hérités de son père, feu le général-président Gnassingbè Eyadema, issu de l’ethnie kabyè du nord du pays, moins opulente que celles des commerçants du littoral.
Manifestations monstres à Lomé
Lire aussi Michel Galy, « Togo, une dictature à bout de souffle », Le Monde diplomatique, juin 2014.Faure Gnassingbè, formé en finances à Paris-Dauphine et en management aux États-Unis, avant d’être nommé ministre des travaux publics, de l’équipement et des télécommunications en 2003 par son père, arbore un look policé et le costume du civil. Mais il continue de s’appuyer sur la force militaire, quelque 8 500 hommes, véritable clé de voûte du régime. Il fait par ailleurs partie de ces « fils de » plus en vogue dans d’autres régions du continent (Joseph Kabila depuis 2001 en République démocratique du Congo, Ian Khama depuis 2008 au Botswana, Ali Bongo depuis 2009 au Gabon et Uhuru Kenyatta depuis 2013 au Kenya).
En un mois, son assise a été sérieusement ébranlée. Tout d’abord, les manifestations d’un nouveau parti d’opposition mené par un nouveau-venu, l’anthropologue et juriste Tikpi Atchadam, que l’on pouvait penser inoffensives, ont pris une tournure inhabituelle. Plusieurs villes ont bravé une interdiction de manifester le 19 août, et se sont soulevées, y compris dans le nord. La répression a fait sept morts et motivé une rassemblement de masse d’au moins 100 000 manifestants (un million selon les organisateurs), le 7 septembre à Lomé, la capitale.
Deux septennats taillés sur mesure après 2020
Ensuite, le sommet Israël-Afrique que voulait abriter le Togo du 23 au 27 octobre a été reporté à une date non déterminée — et selon toute probabilité, annulé. Enfin, les conditions de l’arrivée au pouvoir de Faure Gnassingbè sont plus que jamais en débat.
La rue demande en effet le respect d’un Accord politique global (APG) négocié en 2006 avec la classe politique après son coup de force institutionnel du 5 février 2005, quelques heures après la mort de son père. Pour mémoire, Faure Gnassingbè avait empêché le président de l’Assemblée nationale en exercice de revenir d’un voyage à l’étranger, pour procéder en toute hâte, le 6 février suivant, à des modifications à la Constitution lui permettant de redevenir député malgré son mandat ministériel, puis de se faire élire nouveau président de l’Assemblée (1))… Le tout, pour être élu trois mois plus tard avec une courte majorité, dans un contexte de répression et de fraude flagrante — des soldats ayant été vus emportant des urnes pleines hors des bureaux de vote.
L’exemple rwandais
L’APG, qui limitait en 2006 à deux le nombre de mandats présidentiels successifs, n’a eu aucune suite. « Bébé Gnass », comme on l’appelle chez lui, a en effet entamé en 2015 son troisième mandat. Prêt à suivre les exemples donnés par l’Afrique centrale plutôt que par sa sous-région, il voudrait de nouveau modifier la Constitution de manière à rempiler en 2020 pour deux septennats, jusqu’en 2034. Un calendrier calqué sur celui de Paul Kagamé, au Rwanda, dont il fait partie des admirateurs. Son homologue l’a reçu plusieurs fois à Kigali sans aller lui-même à Lomé, préférant dépêcher une mission d’experts rwandais en février, pour conseiller le Togo sur ses réformes politiques.
Depuis la manifestation monstre du 7 septembre, le chef de l’État togolais reste muré dans son silence. Sur les réseaux sociaux, les critiques pleuvent. Certains le présentent comme un usurpateur, d’autres comme un bon vivant, voire un « noceur ». La raison ? Son statut de célibataire endurci, qui ne l’empêche pas d’avoir reconnu près d’une vingtaine d’enfants dans nombre de familles différentes — y compris parmi les filles et nièces des opposants les plus virulents à l’encontre de son père, des faits de notoriété publique au Togo.
Entre peur et espoir
Que se trame-t-il et que peut-on attendre des semaines qui viennent ? Selon nos sources, les parachutistes cantonnés à Kara, le fief du clan Eyadéma au nord du Togo, auraient reçu des uniformes de gendarmes pour seconder leurs collègues dans les opérations de maintien de l’ordre. Certains de leurs véhicules militaires auraient été repeints en bleu. Si les villes de Kara et Sokodé ont « bougé » dans le nord du pays en manifestant le 19 août, l’armée, elle, reste bien verrouillée. Les anciens généraux ont été mis à la retraite et les officiers les plus menaçants jetés en prison, comme le propre demi-frère du président, Kpatcha Gnassingbè, condamné à 20 ans de prison en 2011.
« De nouveaux responsables ont été bombardés, des jeunes qui se surveillent les uns les autres, personne ne voulant finir devant la Cour pénale internationale de La Haye, signale une source sécuritaire à Lomé. Aucun d’entre eux n’a la maîtrise des deux ou trois unités qui permettraient de faire un coup d’État ». Certains redoutent de voir les militaires les plus fidèles au régime infiltrer les manifestations en tenue civile, comme en 2005, et provoquer des affrontements qui justifieraient, une fois de plus, le recours à la manière forte.
Les esprits s’échauffent, donc, dans un pays marqué par la peur et les vagues successives de répression — 500 morts en 1993 et autant en 2005 selon les Nations unies. Les uns évoquent déjà un « scénario à la burundaise », avec un chef prêt à réprimer son peuple à tour de bras, comme le fait Pierre Nkurunziza au Burundi depuis avril 2015 (lire « Au Burundi, le spectre d’un génocide ? »). Les autres rêvent d’un scénario burkinabé, calqué sur le soulèvement populaire d’octobre 2014 qui a chassé Blaise Compaoré, après plus de trente ans de règne.
cc groume. — Cf. Gilles Châtelet, « Relire Marcuse pour ne pas vivre comme des porcs », Le Monde diplomatique, août 1998.
De sa délicieuse voix traînante, Deleuze, dans son Abécédaire, dit ce qui fait le point de charme d’un ami, le grain de folie qui porte à l’aimer. Et puis il dit, à l’inverse, le sentiment de la disconvenance irrémédiable comme il naît parfois instantanément, qui rend certaines fréquentations impossibles pour quoi que ce soit : « on entend une parole, et on se dit : non mais qu’est-ce que c’est que cette immondice ? ». Les DRH tiennent les 11 et 12 octobre leur 34e congrès au Pré Catelan. On lit le programme. Et c’est comme une benne à ordure qui viendrait verser au milieu d’une nappe de pique-nique.
Le même Deleuze, extra-lucide, prophétisait : « on nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est bien la nouvelle la plus terrifiante du monde ». Mais dans l’ordre du terrifiant, qu’est-ce qui est le pire : qu’elles aient leur petit sentiment ou qu’elles se piquent de penser ? Car elles pensent aussi. Et comme l’époque n’est plus à la contention, elles pensent à ciel ouvert. Tiens : comme les décharges.
Lire aussi Gilles Balbastre, « Le fantassin du dialogue social », Le Monde diplomatique, septembre 2017.On ne s’intéresse pas assez à la littérature managériale. Bien à tort. Quand la fusion organique du capital et de l’État a atteint le stade Macron, c’est une littérature politique. L’« édito » du congrès ne s’en cache d’ailleurs pas : « Le Congrès HR est le reflet d’une fonction RH en mouvement. Ou plutôt en marche ! ». En réalité il se sous-estime : le congrès et sa littérature sont politiques à un titre bien moins superficiel. C’est qu’on y pense l’homme et la vie, ni plus ni moins. Évidemment sous l’hypothèse directrice que l’entreprise est la vie, épuise la vie. Bien sûr on se récrie, on proteste du souci de l’« équilibre des collaborateurs », de la « préservation de leur vie personnelle ». Las, il suffit d’un malencontreux lapsus calami pour ruiner tous les efforts de la dénégation : « Concilier vie professionnelle et professionnelle pour attirer les talents » (1), annonce un atelier du 11 octobre après-midi. Patatras…
Confirmation d’une tendance en fait à l’œuvre depuis le milieu des années 1980, disant donc quelque chose de l’essence du néolibéralisme, la convergence, non pas des luttes, mais de l’entreprise, de l’armée et des sports extrêmes est de nouveau à l’honneur au programme du 34e Congrès HR. On y écoutera en vedette américaine, ou plutôt britannique, Mark Gallagher, « ancien directeur d’équipes de Formule 1, expert en motivation et en performance » et aussi, par le fait, en remplacement flash des pneus usés dans les stands. On nous apprend que le chef-chauffard est par-là même « spécialement qualifié pour diriger n’importe quelle entreprise dans n’importe quel domaine pour atteindre le plus haut niveau de performance », pétition d’universalité qui jette un froid à l’échelle du salariat tout entier. Mais, à tout prendre, le statut de collaborateur-pneu n’est-il pas préférable à celui de cobaye entre les mains du Médecin-chef de l’Institut de recherche biomédicale des armées, qui se propose, lui, de produire des « collaborateurs augmentés » ?
Pneu ou cobaye, ça n’est jamais que la suite logique d’un acte originel posé en mots : ressource humaine. Un employé d’un Jobcenter berlinois livre la vérité ultime de la chose : « Nous proposons aux entreprises du matériel humain bon marché » (2). On voudrait, paraphrasant Georges Canguilhem et par une simple substitution de mot, poser aux DRH la question que celui-ci adressait aux psychologues dévoyés : « qu’est-ce qui pousse ou incline les [DRH] à se faire, parmi les hommes, les instruments d’une ambition de traiter l’homme comme un instrument ? ». Mais les DRH sont sacrément partis. Si on en rattrapait un, il répondrait sûrement qu’il faut « décliner les méthodes agiles dans les modes de travail pour simplifier les process ». Entre le médecin-chef fou à lier, la phraséologie du « collaborateur » et la méthode des process agiles, nous savons donc en quel lieu précis s’établit la pensée DRH : à l’intersection du totalement flippant, de l’ignoble en roue libre et du grotesque à se rouler par terre.
Mais s’il faut s’intéresser aux DRH c’est parce que leur Congrès rencontre l’époque comme jamais, et même qu’il en donne l’idée pure. Que l’entreprise soit la vie, et la société une entreprise, c’est le sens le plus profond du macronisme. On signale que Muriel Pénicaud ouvre les travaux du 34e Congrès sous l’appellation avantageuse de « DRH de l’entreprise France » — au cas où il resterait des mal-entendants. L’« édito » tease à mort : « La ministre a accepté d’être face à vous, en toute proximité, pour répondre à toutes vos questions. Sans aucun filtre ». Tu parles ! C’est toute la classe macronienne qui en a d’avance le système glandulaire surmené. Car sous la pellicule fine des ultra-riches, du reste probablement indifférents à cette insane bouillie verbale, s’ils n’en rient pas eux aussi — mais autrement —, il y a toute la petite troupe électorale des wanabees qui, eux, s’y croient à fond. Ils lisent Challenges ou Winner comme jadis on lisait Salut les copains : avec des étoiles dans les yeux, se ruinent le poignet sur des posters dépliables de Xavier Niel, se repassent dans la voiture leurs leçons de globish, optimisent leurs process, ne rêvent que d’être « augmentés », vivent la vie comme une startup. On n’aurait pas d’obstacles à ce qu’ils restent entre eux, comme dans une sorte de parc à thème, qui par parenthèses pourrait connaître un réel succès, c’est qu’il y a des choses à voir et à entendre qui méritent qu’on paye. Le problème est que ces débiles ont la forme de vie agressivement envahissante, et qu’ils ont même pour projet d’y mettre tout le monde : ils se sont d’ailleurs donné un président pour ça.
Quoiqu’ils nous fassent énormément rire, il faut tout de même leur dire que leur vision de l’homme, de la vie et de la société nous est parfaitement répugnante. Que leur congrès lobotomique se propose de la célébrer en tous ses atours est une occasion dont la signification présente ne nous échappe nullement, et, disons-le leur, dont nous commençons à être quelques-uns à vouloir trouver un parti à en tirer. Si d’ailleurs quelque initiative se formait en vue d’aller leur faire savoir sur place une ou deux choses en ce sens, c’est avec un grand bonheur que nous nous y joindrions.
Une toute dernière chose : on n’exclut pas que, dans un réflexe très professionnel de branding management, d’e-reputation et de communication agile, les DRH auront à cœur de rétablir aux yeux de l’opinion leur dignité offensée, et se mettront en peine d’une réponse justement offusquée, pour expliquer qu’au cœur du process de coworking, la fonction RH ne sert pas seulement le développement des hommes mais aussi celui de la Cité où elle s’inscrit à titre citoyen, humaniste et responsable (3). Vraiment, on voudrait leur dire : oh oui, s’il vous plaît, écrivez-nous un petit quelque chose.
Le jour même de cette mini-mobilisation, le ministère de la défense avait tenu à rappeler – en guise de contre-feu – que la condition du personnel militaire est en voie d’amélioration grâce au milliard d’euros programmé pour la période 2017-19, avec cette année une première tranche de 350 millions, affectés notamment à une meilleure alimentation des soldats en opérations, à l’achat de 49 000 gilets pare-balles de nouvelle génération, etc.
La veille, un jeune militaire de l’opération Sentinelle s’était suicidé avec son arme de service, dans l’ilôt St-Germain, à deux cents mètres du bureau de la ministre, Mme Florence Parly : c’est le troisième suicide depuis 2015 – année de lancement de cette opération militaire de sécurisation du territoire national. Sentinelle avait également fait parler d’elle le 9 août dernier, après l’attaque de militaires à Levallois-Perret (Hauts de Seine), près des locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Jean Marc Tanguy, du blog Mamouth, a listé les revendications de « femmes de militaires en colère », l’organisateur de la manifestation des Invalides, telles que les lui a présentées la fondatrice de ce collectif (1) :
• arrêter Sentinelle : cette opération est « ridicule et ne sert à rien, les hommes sont fatigués, logés dans des lieux insalubres, ils ne mangent pas à leur faim. On leur donne des aliments périmés. Les primes sont payées plusieurs mois après. On ne peut pas dire que le pays est en guerre et faire des militaires les supplétifs de la police » ;
• imposer le même niveau de qualité dans les reconversions dans l’armée de terre (où les situations seraient très disparates d’un régiment à l’autre) ;
• réduire les mutations au strict nécessaire, car elles contribuent à générer des « célibats géographiques », ou des situations contraignantes pour les conjoints ;
• renforcer les dotations d’équipement individuel, pour que les familles n’aient plus à financer elles mêmes des gilets pare-balles, harnais, etc ;
• mettre définitivement fin aux « errements de Louvois » (2).
• imposer la reconnaissance du syndrome post-traumatique (PTSD). Beaucoup de familles vivent cela seules. « Parfois, quand on en parle en régiment, on se fait rire au nez. »
Le quotidien des soldats
Au total, un sentiment de déclassement déjà exprimé à plusieurs reprises dans l’enceinte du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), instance représentative des personnels de défense. Et qui a été renforcé en juillet dernier par l’annonce de restrictions budgétaires, suivie de la démission du chef d’état-major des armées.
Autre indice : au même moment, un rapport parlementaire de la commission des finances du sénat, sous la responsabilité du sénateur Les Républicains (LR) d’Ile-et-Vilaine, Dominique de Legge, dénonçait l’état des infrastructures militaires, avec des logements parfois « proches de l’insalubrité ». Il pointait un défaut de maintenance régulière, source de dégradation de certains bâtiments, par exemple sur la base aérienne d’Orléans, au lycée militaire d’Autun ou au camp du 2e régiment d’infanterie de marine du Mans.
Le rapporteur spécial s’interrogeait sur le caractère selon lui « volontaire » de la « sous-budgétisation des dépenses consacrées à l’infrastructure ». Il manquerait 2,5 milliards d’euros pour satisfaire les besoins d’infrastructures dans les six ans à venir, selon ce rapport. « Dans de nombreux cas, un entretien courant suffisant aurait pu permettre d’éviter de telles situations », explique le sénateur pour qui des opérations mineures, telles que l’installation d’un accès à Internet sans fil dans l’ensemble des lieux d’hébergement, « seraient de nature à améliorer significativement le quotidien des soldats ». Et donc le moral des troupes, ainsi que l’attractivité des métiers de la défense.
De manière générale, « il y a un malaise », soulignait notre consoeur Nathalie Guibert dans son enquête sur « le quotidien des soldats, talon d’Achille des armées (3) » Des témoignages recueillis avant même ce 14 juillet de crise évoquaient notamment « l’écœurement » suscité chez certaines recrues par l’opération Sentinelle qui pompe les énergies, désorganise les calendriers, ampute la vie privée – au détriment de missions jugées plus valorisantes. Un contexte de suractivité qui commence à poser des problèmes de fidélisation des personnels. Ainsi, l’association professionnelle nationale de militaires de la marine ( APNM) écrivait à la ministre de la défense : « La motivation et le moral de ceux qui restent s’émoussent, et les armées n’arrivent plus à recruter pour compenser les départs ».
Contraints et forcés
Si l’on peut noter que, malgré ce climat morose, les chefs d’état-major des quatre armées – terre, air, mer, cyber – n’ont pas emboîté le pas au général Pierre de Villiers, et restent à leur poste, ils ne manquent pas, chacun dans son secteur, de souligner les insuffisances budgétaires et autres. Entendu, comme ses alter ego par la commission de défense de l’assemblée nationale, le général Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, a indiqué, à propos de l’engagement massif de soldats sur le territoire nationale depuis 2015, sous la forme de l’opération Sentinelle : « Nos jeunes s’engagent pour l’action et pour voir du pays. Quand on leur dit que leur première mission sera « Sentinelle » à la gare du Nord, cela ne les fait pas rêver. Je ne vais pas raconter des histoires : ils se sont engagés d’abord pour partir au Mali ou sur d’autres théâtres d’opérations extérieures ».
Le général Bosser a également évoqué le projet de service national auquel le président Macron semble attaché, mais qui pose de sérieux problèmes de mise en œuvre : « Qualitativement, nous avons les compétences et le savoir-faire pour aider nos jeunes. Mais c’est le volume qui peut poser problème. 700 000 jeunes, c’est dix fois la force opérationnelle terrestre ! Quel est l’impact d’une masse de 700 000 personnes sur une masse qui en fait 77 000 ? Que se passe-t-il lorsque l’on est percuté par dix fois son poids ? Si l’on nous dit qu’en cinq ans, nous aurons à former 700 000 personnes, comment ferons-nous ? »
« Quelle est la finalité de ce service national ? Que veut-on apprendre à ces jeunes ? Deuxièmement, combien serons-nous à agir ? Les militaires seront-ils seuls dans cette affaire ? Est-ce une action interministérielle ? Sera-t-elle partagée avec d’autres ? Je pense qu’un partage des tâches serait judicieux ».
« Reste un dernier point qui n’est pas anodin : la popularité ou l’impopularité que la défense pourrait tirer de cette action. Aujourd’hui, nous employons des engagés volontaires, qui acceptent l’entraînement et les contraintes du service. Avec un service national, on accueillerait des garçons et des filles qui, pour certains, viendraient chez nous un peu contraints et forcés. Pour ma part, je ne souhaite pas revenir à ce que l’on a pu connaître dans les années 1970 ou 1980… Quoi qu’il en soit, la popularité ou l’impopularité de notre armée aurait un impact sur notre capacité à encaisser ce choc dans notre écosystème ».
En avance sur nous
Entendu également à la mi-juillet par la commission de défense de l’assemblée nationale, le général Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, se veut « particulièrement attentif à certains programmes, car il est évident que ces annulations budgétaires auront des conséquences physiques ». Mais, « il est évident que ces annulations ne pourront concerner les éléments touchant directement à la conduite de nos opérations », se rassure-t-il.
Le général s’inquiète de ce que la modernisation « relativement rapide et ambitieuse » des forces aériennes britanniques (4) « les place très sensiblement en avance sur nous », avec une flotte de ravitailleurs neuve et déjà 14 ravitailleurs MRTT (il devrait y en avoir 12 en France, dont 9 commandés seulement à ce stade) alors qu’ils n’ont pas la charge de la mission de dissuasion aéroportée. Ils sont en train de faire entrer en service le F-35 (5) et auront bientôt une flotte de chasseurs composée uniquement d’avions de quatrième et de cinquième génération (Eurofighter et F35), quand la française sera plutôt composée d’appareils de génération antérieure (Mirage 2000 et Rafale).
La Royal Air Force dispose de six AWACS (4 en France). Sa flotte de transport est composée d’une palette de moyens récents (C130, C17, A400M), alors que les C130 et C160 français sont à la peine. Ses moyens de surveillance surclassent les moyens français (avec notamment sur le théâtre irakien un nombre de drones de surveillance de longue endurance bien supérieur). « Bref, résumait le général, les Britanniques ont fait un effort. On entend souvent dire qu’ils sont déclassés : ce n’est pas ce que j’observe dans le domaine aérien ».
Ministère sans défense
Le chef d’état-major de l’armée de l’air française se plaint au contraire de la vétusté de certains de ses équipements, alors « qu’arrive un moment où la structure industrielle qui nous permet de réparer ces équipements n’existe plus ». En ce qui concerne le nouvel appareil de transport, l’A400M, « sa disponibilité a été catastrophique, et je pèse mes mots, en 2016 » . De zéro à un avion l’an dernier, on est passé à une disponibilité de cinq à six avions en ligne aujourd’hui, sur une flotte de onze appareils. En outre, « l’avion a été livré avec un standard qui ne correspondait pas à celui que nous attendions : c’était un avion de transport logistique et non de transport tactique ». Le général Lanata, à propos des standards du chasseur Rafale, note qu’une « petite moitié » seulement sont des appareils polyvalents, l’ensemble de la flotte des Rafale ne devant pas atteindre ce standard complet avant une quinzaine d’années.
Des propos cependant mesurés. Il est vrai que le président de la commission de défense de l’assemblée avait donné le ton : « J’invite nos collègues à faire preuve de prudence. Comme vous le savez, c’est à la suite de propos tenus dans le cadre d’une audition, et ayant filtré dans la presse, que le général de Villiers a démissionné… ». On verra par exemple si, dans l’enceinte de l’université d’été de la défense, qui se réunit les 4 et 5 septembre à Toulon sous l’égide de la marine, les militaires et les politiques surmonteront ces prudences et réticences, et tiendront un discours de vérité. Ou si, au contraire, ils laisseront apparaître qu’après un temps où le ministère de Jean-Yves Le Drian remportait tous les arbitrages face à Bercy, le ministère de la défense est aujourd’hui, avec Macron, un ministère… sans défense.
« Psychodrame… trahison… humiliation… » : la communauté de défense reste en émoi, deux semaines après la démission du chef d’état-major, le général Pierre de Villiers. Le président Macron aura gâché en quelques jours et quelques mots le potentiel de crédit acquis auprès des militaires depuis son investiture, même s’il agissait surtout d’une posture. « Défiler dans un véhicule militaire, rendre visite aux blessés, se rendre sur un théâtre d’opérations, c’est très bien, affirme par exemple le colonel Michel Goya, mais il y a l’amour, et il y a les preuves d’amour. Ces preuves, ce devait être le budget (1) ».
À la romaine
Au lieu de quoi, après un « Je suis votre chef » très surjoué, comme l’écrit Jean Guisnel (2), le président s’en est pris publiquement au général Pierre de Villiers, qu’il venait tout juste de prolonger pour un an comme chef d’état-major des armées (CEMA), au-delà de la limite d’âge. Et l’a fait, de surcroît, dans l’enceinte du ministère de la défense, devant le gratin politico-militaire, réuni à la veille d’un 14 juillet vécu par les soldats comme une fête des armées, et par leurs chefs comme la grande cérémonie annuelle d’allégeance de l’armée au pouvoir politique. Le président a ainsi mis en cause un officier supérieur au parcours irréprochable, qui avait eu pour seul tort de préconiser, dans une petite salle discrète, devant une assistance ultra-spécialisée de quelques membres de la commission de défense de l’Assemblée nationale, une consolidation de son budget, comme il l’avait déjà fait, d’ailleurs, les années précédentes.
Il est vrai que, répondant aux questions des parlementaires, le général Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon — pour reprendre son blase complet (3) —, mécontent des arbitrages budgétaires, avait lâché une formule qui ne fleure pas bon les plages du Touquet : « On ne va pas se faire baiser comme cela ». Quelques jours plus tard, il a justifié sa démission en affirmant « ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée » tel qu’il l’avait commandé durant l’ère Hollande.
Lire aussi Philippe Leymarie, « La canonnière, une passion française », Le Monde diplomatique, avril 2017.Une démission « mise en scène », selon le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, qui a jugé le général « déloyal dans sa communication », l’accusant même — en référence à des propos tenus sur son blog — de s’être comporté en « poète revendicatif ». Commentaire élogieux, au contraire, du philosophe Michel Onfray, qui s’est fendu d’une chronique de soutien au général, sur son site : « De Villiers a préféré se suicider à la romaine, un mercredi, plutôt que d’être liquidé par le président un vendredi » (où il était convoqué à l’Élysée).
Déjà, en décembre 2016, le chef d’état-major général s’était prononcé en faveur de l’augmentation du budget des armées, demandant sa hausse progressive pour le porter de 1,7 à 2 % du produit intérieur brut (PIB) avant la fin du prochain quinquennat, en 2022. En mars dernier, le CEMA s’était illustré à nouveau, reprochant mezzo vocce au candidat Les Républicains (LR) François Fillon de renvoyer à 2025, dans son programme présidentiel, la réalisation de l’objectif des 2 % du PIB.
Service lourd
À l’époque, le général avait également laissé entendre, selon le magazine Challenges, qu’il ne pourrait rester à son poste si le candidat Emmanuel Macron devait être élu. Le projet notamment de création d’un service militaire d’un mois, qui aurait lourdement pesé sur les effectifs et les finances des armées, était jugé particulièrement irréaliste (4).
Après le clash avec De Villiers, qui aura été un premier test pour son autorité, le président Macron s’est efforcé d’apaiser les craintes des militaires, en expliquant, lors d’un déplacement sur la base aérienne d’Istres, que :
• la trajectoire pour atteindre les 2 % du PIB en matière de défense serait un engagement tenu ;
• la hausse de 1,8 milliards du budget défense programmée pour 2018 sera la seule consentie sur l’ensemble du budget de l’Etat ;
• jamais, ces dernières années, il n’y aura eu une telle « vraie » hausse des crédits défense, laquelle permettra « une vraie réflexion capacitaire » ;
• ce ministère de la défense n’est pas un ministère comme les autres, les militaires « engageant leur vie au quotidien », la place de la nation en dépendant, tout comme la sécurité de la population…
Passage en caisse
La ministre Florence Parly fraîchement nommée, a dû elle aussi « passer à la caisse » pour tenter à son tour de rassurer les armées… et paraître exister. Ainsi, elle a annoncé le dégel de 1,2 milliard de crédit (sur un total de 1,9 milliard bloqué au titre de 2017) : un déblocage qui aurait de toute façon eu lieu (5). Et assuré que les 850 millions prélevés sur les crédits 2017, au titre des économies demandées à tous les ministères, seraient de simples décalages d’acquisition de gros équipements, et n’auraient aucune conséquence sur le travail opérationnel des armées. La ministre, sans compétence dans le domaine de la défense (6), s’est d’autant plus empressée de courir derrière son président qu’elle avait imprudemment convenu, le 6 juillet dernier, « ne pas être en désaccord sur ce point », avec le général de Villiers, alors qu’il réclamait une rallonge de 3 milliards d’euros pour le financement des opérations extérieures et l’achat d’équipements, indispensables selon lui.
Même s’il s’agit d’une crise « plus inédite qu’historique », selon le commentaire par exemple de Bruno Dive, l’éditorialiste de Sud-Ouest (7), elle constitue un avertissement pour le nouveau pouvoir. Elle aura eu au moins le mérite de préciser les prérogatives des uns et des autres : au président, la conduite des armées au sens stratégique ; à la ministre, le budget ; et au chef d’état-major, la mise en œuvre en quelque sorte technique des armées, comme il a été rappelé.
Elle aura eu aussi pour effet de relancer le débat sur le financement de la défense et de la sécurité : « Voila des années que le feu couve entre les chefs d’état-major et le pouvoir politique, et seule l’autorité d’un Jean-Yves Le Drian avait permis d’éviter l’explosion. Des années que l’on exige trop des armées, avec trop peu de moyens », écrit Bruno Dive qui se demande s’il est bien raisonnable d’envoyer des soldats en opérations extérieures, et de les faire patrouiller — « en même temps », se moque-t-il — dans les rues de l’Hexagone, dans le cadre de l’opération Sentinelle — une mission qui, selon un récent reportage sur le « quotidien des soldats, talon d’Achille des armées (8) », ronge le moral des jeunes engagés, et risque de compromettre les futurs recrutements.
Pente dangereuse
En tout cas, pour le général Vincent Desportes, professeur à Sciences-Po (9), ce clash De Villiers-Macron serait « la plus haute crise politico-militaire en France depuis le putsch des généraux en 1961 » — rien de moins —, et cela même si plusieurs haut-responsables avaient démissionné ou avaient été limogés ces quarante dernières années, le plus souvent pour s’être opposés justement à des baisses d’effectifs ou de crédits. Pour l’ancien patron de l’école de Guerre, « la tension est énorme » au sommet de l’État et de l’armée : « Le président Macron n’a pas tenu ses engagements. Au Mali, face aux troupes, les yeux dans les yeux, il a promis de ne pas toucher au budget », assène Vincent Desportes pour qui il s’agit d’une « gifle » adressée à l’armée, un « mépris pour l’institution ».
Selon ce général, lui-même sanctionné en 2010 à la suite de la publication dans Le Monde d’un article critique sur la stratégie américaine en Afghanistan, « les armées ont terriblement souffert depuis un quart de siècle ». On leur a fait supporter l’essentiel des économies budgétaires et des baisses d’emplois publics, malgré la montée constante des risques et menaces.
Ce qui a entraîné une dégradation des conditions d’exercice du métier, de formation et d’entraînement, avec — pour Vincent Desportes — une accélération ces cinq dernières années, marquées par un suremploi des forces, une « addition d’engagements réactifs sans stratégie globale », qui n’ont produit « aucun résultat solide, ni en France, ni au Sahel, ni en Afrique noire, ni au Moyen-Orient ». Ce spécialiste en stratégie considère que les forces ont été dispersées sur de trop nombreuses missions, éparpillées dans de vastes espaces hors de mesure avec les moyens engagés, « sans jamais avoir pu déployer les masses critiques suffisantes pour transformer leurs remarquables succès tactiques en succès stratégiques durables ».
De nombreux officiers considèrent, comme le général Desportes, que ces surengagements combinés avec une sous-budgétisation, entraînent les forces armées sur la pente dangereuse du déclassement, à l’image de ce qu’avaient subi les forces britanniques il y a une quinzaine d’années : des taux de disponibilité opérationnelle des matériels catastrophiques ; un vieillissement accéléré de certains équipements ; des niveaux d’entraînement tombés sous les normes de l’OTAN — « alors même que notre armée est la plus engagée au combat », souligne Desportes —, des réformes « aberrantes » du soutien des troupes, menées au nom de la mutualisation, de l’externalisation, etc. — le tout faisant que l’autonomie stratégique de la France est mise à mal, aucune opération extérieure d’envergure ne pouvant être menée sans le soutien des armées américaines (renseignement, ravitaillement en vol, drones), ou de compagnies aériennes privées russo-ukrainiennes (transport lourd).
Autoritarisme juvénile ?
La plupart des militaires voient dans ces épisodes politico-budgétaires la signature de Bercy, le siège du ministère de l’économie et des finances, qui ne raterait aucune occasion de tailler des croupières aux armées, profitant cette fois de l’impréparation de la nouvelle ministre — « une gestionnaire qui ne connaît pas le monde militaire », souligne Michel Goya, qui rappelle qu’en 2014 Jean-Yves Le Drian, « qui avait un vrai poids politique », avait menacé de démissionner, ainsi que le chef d’état-major et les chefs des trois armées, au cas où Bercy obtiendrait les coupes budgétaires envisagées alors.
Pour les officiers supérieurs en retraite, souvent actifs dans les associations ou sur les réseaux sociaux, c’est le sentiment d’humiliation qui domine. Quinze d’entre eux ont écrit une lettre ouverte au président, publiée par Capital , où ils font état de leur « blessure profonde », et se plaignent de « l’autoritarisme juvénile » du président Macron.
Ces questions ne manqueront pas de resurgir à la fois à Toulon, du 3 au 5 septembre, dans le cadre de l’Université d’été de la défense. Mais aussi au fil de la préparation du rapport demandé par M. Macron sur l’avenir de l’opération Sentinelle, et de la mise en œuvre de la Revue stratégique dont les premières conclusions sont attendues dès octobre, avant la publication d’ici la fin de l’année d’un nouveau Livre blanc — le tout devant déboucher sur la discussion et l’adoption l’été prochain d’une nouvelle loi de programmation militaire couvrant les cinq ans à venir.
Complexe militaro-industriel
Si l’on veut que le modèle actuel d’armée reste pérenne, et que, contrairement à aujourd’hui, l’outil ne se dégrade pas plus vite qu’il ne se régénère, que le capital hommes-matériels-expériences se maintienne, voir se renforce, il faudra — selon Florent de Saint-Victor, sur son blog Mars attaque — que cette revue stratégique « donne la juste place à l’enveloppe budgétaire de 2 % du PIB consacrés à la défense, en euros courants, à l’horizon 2025 (soit au quinquennat suivant), hors pensions et hors opérations extérieures, dans le travail en boucle ambitions-aptitudes-moyens. Surtout que, la bosse budgétaire des programmes lancés mais non financés, celle du report de charges (la dette interne vis-à-vis des fournisseurs) et les besoins simplement nécessaires pour faire tourner le système en l’état pourraient bien à eux seuls, si aucun choix n’est fait, prendre tous les moyens supplémentaires disponibles. »
C’est dire si les défenseurs de l’outil militaire actuel ont encore du souci à se faire. Reste une autre politique plutôt radicale, à la Michel Onfray par exemple : « Si vraiment on veut faire des économies, indique-t-il sur son site, on ferait bien déjà d’arrêter les guerres et arrêter d’aller bombarder des gens qui ne nous menaçaient pas, et qui finissent par nous menacer depuis qu’on les menace nous-mêmes ». Mais, convient le philosophe-éditorialiste, ce n’est pas dans la stratégie d’un exécutif libéral « qui a besoin de faire savoir au complexe militaro-industriel qu’on travaille avec eux ». Ce qui, bien sûr, n’est pas faux non plus.
« Bientôt cinq mois que Khalifa Sall, le maire de Dakar croupit dans une cellule de prison. Son crime ? Détournement de fonds publics, dit-on. Cette accusation qui intervient à deux ans de la présidentielle et à quelques semaines des législatives ne trompe personne. À travers le monde entier, des voix prestigieuses et innombrables se sont élevées pour dénoncer son caractère politique c’est-à-dire partial et prémédité. Je voudrais, en toute modestie, y joindre la mienne. Le faisant je ne défends pas une personne — fût-elle un ami — mais un principe sacré et cher à l’Africain désenchanté que je suis : la justice si jamais ce mot a encore un sens dans un continent où le droit a tendance à s’incliner devant le fait du prince.
Car le cas Khalifa Sall n’a rien d’isolé. Il nous rappelle dramatiquement celui de Patrice Talon (Bénin), Moïse Katumbi (RDC), ou de Hamma Amadou (Niger) et sans doute, quelques dizaines d’autres moins médiatisés mais non moins cruels et injustes. Chez nous, les opposants versent automatiquement dans la délinquance quand ils sont populaires et surdoués, je veux dire, électoralement dangereux. Nos dirigeants, la plupart mal élus, paniquent à l’annonce des consultations : les juges font du zèle, les procès pleuvent et les actes d’accusation sont dignes d’un inventaire à la Prévert : sacrifices rituels ou empoisonnement, recel de vol ou de cadavre, prise illégale d’intérêt ou trafic de bébé.
Hier, on vous accusait de complot avant de vous soumettre à la “diète noire” de Sékou Touré ou de vous jeter aux crocodiles d’Amin Dada. Aujourd’hui — nous sommes en 2017 tout de même ! — on commence à goûter au formalisme juridique sans pour autant renoncer au poison de l’arbitraire. Après tout, gégène ou procès en sorcellerie, le résultat est le même du moment que l’on est seul à jouir des délices du pouvoir.
Le pouvoir ! Le culte du pouvoir ! L’obsession du pouvoir ! Le voilà, le véritable mal de l’Afrique, la source putride d’où tous les autres découlent. Les sociétés ne fonctionnent que si elles s’imposent des règles de vie précises, indépendantes des circonstances et des hommes. L’ennui avec nos dirigeants, c’est qu’ils n’obéissent à aucune règle, hormis celle de leurs intérêts immédiats. Ces messieurs échappent à tout contrôle : au rite traditionnel cher aux Anciens aussi bien qu’au code juridique moderne. C’est à peine s’ils n’ont pas droit de vie et de mort sur leur peuple malgré les timides avancées démocratiques observées ces dernières années. Et pour cause, ils sont passés maîtres dans l’art de briser les contre pouvoirs et de torpiller les institutions ! Tout opposant est un homme à abattre ; toute idée nouvelle, un projet à contrecarrer.
Khalifa Sall est un opposant doté de courage et d’intelligence, donc Khalifa Sall est un homme à abattre. Un jeune inconnu qui, dans la course à la mairie de Dakar, a successivement éliminé et le fils d’Abdoulaye Wade et le Premier Ministre de Macky Sall, est forcément dangereux.
Les Sénégalais savent que Khalifa Sall, et c’est le seul problème qui vaille, représente l’alternative la plus crédible aux présidentielles de 2019. Ne serait-ce que pour cela, il mérite qu’on le jette au bûcher en l’accablant des torts les plus fantaisistes. Celui d’avoir détourné non plus des deniers publics mais le cours du fleuve Sénégal, par exemple. »
Que M. Donald Trump ait choisi le jour anniversaire du bombardement nucléaire d’Hiroshima et Nagasaki pour promettre « le feu et la fureur, comme le monde ne l’a jamais vu jusqu’ici », témoigne, si besoin est, de l’arrogance et de l’inconscience du président américain. De l’autre coté, l’ire et l’irresponsabilité du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, tiennent le monde en haleine. Le pire n’est jamais sûr mais l’escalade verbale peut dégénérer en affrontement meurtrier à la faveur (si l’on peut dire) de n’importe quel incident. Les menaces et la propagande n’ont jamais conduit à la paix. Mieux vaudrait négocier en partant de la réalité.
Un bouclier
Lire aussi Bruce Cumings, « Mémoires de feu en Corée du Nord », Le Monde diplomatique, décembre 2004.La République populaire démocratique de Corée (RPDC) a fait de la bombe atomique une assurance-vie contre toute ingérence étrangère en général, américaine en particulier. Et de brandir l’exemple de l’Irak ou de la Libye. Pyongyang, qui a connu la puissance de feu des États-Unis lors de la guerre de Corée (1950-1953), est persuadé que l’Iran n’a échappé à l’invasion des troupes occidentales qu’en raison de son programme nucléaire. Il ne s’agit donc plus, comme du temps du père ou du grand-père, de négocier un gel du programme militaire contre de la nourriture. Kim Jong-un, qui estime que son frère ennemi du Sud est trop dépendant de Washington pour avoir une politique autonome, veut obtenir l’ouverture de négociations en direct avec les États-Unis pour une réelle reconnaissance. Rappelons qu’il n’y a toujours pas de traité de paix depuis 1953.
Propagande des faucons
Pyongyang est-il en mesure de lancer des missiles à tête nucléaire sur le territoire américain comme on l’entend ces jours-ci ou même d’atteindre la base US de Guam dans le Pacifique ? Les va-t-en-guerre américains l’assurent. D’autres experts sont plus circonspects, tel Siegfried Hecker, ancien directeur du laboratoire national de Los Alamos (USA) cité par Le Monde de ce jour, qui estime que Pyongyang « n’a pas l’expérience pour tirer une tête nucléaire suffisamment petite, légère et robuste ». Il faut donc ramener la menace à de justes proportions — même s’il ne faut pas sous-estimer les objectifs de la RDPC et encore moins les risques d’une décision intempestive de ses dirigeants.
Pékin n’en est pas à son premier embargo
La Chine est montrée du doigt et M. Trump se glorifie de l’avoir fait céder en la poussant à voter un renforcement des sanctions au Conseil de sécurité de l’Onu. Contrairement à ce qui se dit, ce n’est pas la première fois que Pékin s’associe à des sanctions contre la Corée du Nord. Elle l’a déjà fait en mars 2013 (quand M. Barack Obama était président) après la reprise des essais, puis en 2016. En effet, Pékin voit d’un mauvais œil la nucléarisation de la péninsule coréenne et sait parfaitement que la colère nord-coréenne permet de justifier l’installation du puissant système antimissile américain Thaad sur le territoire sud-coréen, à quelques encablures de ses côtes…
Toutefois, les marges de manœuvre chinoises pour ramener Kim Jong-un à la raison sont faibles. Le président nord-coréen se moque comme d’une guigne des admonestations du président Xi Jinping. Les deux chefs d’État ne se sont jamais rencontrés : une première dans l’histoire des relations entre les deux pays. Certes, la Chine peut couper le robinet des importations et des exportations — elle l’a déjà considérablement réduit. Mais elle redoute un effondrement du pays qui amènerait un flot de réfugiés et des troupes américaines à ses portes. Et en Chine, certains dirigeants de l’armée s’alertent devant une telle perspective…
Posture française
La France, selon Christophe Castaner, porte parole du gouvernement, est « prête à mettre tous ses bons offices pour que nous puissions trouver une solution pacifique ». L’intention est louable mais elle relève de la posture : la France est le seul pays européen (avec l’Estonie) à ne pas avoir reconnu la RPDC. Elle est donc bien mal placée pour se poser en médiatrice.
Négocier enfin…
Lire aussi Philippe Pons, « La rationalité de Pyongyang », Le Monde diplomatique, mai 2017.Tout le monde reconnaît l’échec des politiques du bâton, de l’embargo et de la rupture. Comme le rappelle le ministre des affaires étrangère chinois Wang Yi, « les sanctions ne sont pas le but ultime » ; elles doivent inciter à négocier (6 août 2017). En juillet, juste avant cette nouvelle escalade, le nouveau président sud-coréen Moon Jae-in avait appelé à reprendre le dialogue interrompu par sa prédécesseure. Mais Pyongyang ne veut parler qu’avec Washington. Plus raisonnable que son président, le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson a rappelé qu’il faudra « à un moment ou un autre engager le dialogue » (1er août 2017). Le plus tôt sera le mieux.
La rénovation des séries STI et STL, attendue depuis plus de dix ans, est réalisée conjointement à la mise en oeuvre de la réforme du LEGT. Elle s’applique à la rentrée 2011 en classe de première, à la suite de la mise en place de la nouvelle seconde commune et à la rentrée 2012 en classe de terminale. Cette rénovation intègre toutes les dispositions de la réforme (accompagnement personnalisé, horaires à effectifs réduits, mise à jour du contenu scientifique et technique des programmes, prise en compte de l’évolution numérique, etc.) et reprend largement les préconisations formulées dans les différents rapports produits sur la voie technologique. Elle a fait l’objet d’une politique de communication affirmée tant au niveau ministériel qu’au niveau académique, et a reçu le soutien des milieux professionnels. Un des enjeux forts de cette rénovation est de faire remonter les effectifs et de féminiser les filières industrielles17. Elle a été accompagnée par les corps d’inspection territoriaux, qui ont disposé des moyens nécessaires pour organiser des séminaires de formation. Les trois nouvelles séries ont en commun l’objectif de mieux préparer les élèves à la poursuite d’études, y compris longues, le développement de la polyvalence avec des enseignements technologiques plus transversaux, l’interdisciplinarité et la place occupée par la pédagogie de projet. Elles prennent désormais les noms de « sciences et technologies de l’industrie et du développement durable » (STI2D), « sciences et technologies de laboratoire » (STL) et « sciences et technologies du design et des arts appliqués » (STD2A) – cette dernière série étant issue de l’ancienne filière STI, option arts appliqués. Concernant les grilles horaires, l’accompagnement personnalisé est introduit de façon uniforme à hauteur de deux heures hebdomadaires à chaque niveau, le financement étant réalisé par une réduction de même hauteur sur l’enseignement disciplinaire. En revanche, l’enveloppe horaire accordée pour assurer des enseignements en groupes à effectif réduit (en remplacement des heures de dédoublement) varie selon la série technologique. Le volume est arrêté par le recteur, en divisant par vingt-neuf le nombre d’élèves prévus au sein de l’établissement à la rentrée scolaire dans les classes de première et terminale de la série concernée et en le multipliant par un coefficient propre à la série, puis en arrondissant le résultat ainsi obtenu à l’entier supérieur. Cette enveloppe peut être abondée en fonction des spécificités pédagogiques de l’établissement. Son utilisation fait l’objet d’une consultation du conseil pédagogique. Le projet de répartition des heures prévues pour la constitution des groupes à effectif réduit tient compte des normes de sécurité et des activités impliquant l’utilisation des salles spécialement équipées et comportant un nombre limité de places. Le coefficient multiplicateur a été fixé à 16 pour les séries STI2D et STL et à 18 pour la série STD2A, ce qui est beaucoup plus élevé que pour les séries qui ont été rénovées par la suite.
Récemment, j’ai suivi un stage de création de parfum à Paris, et je dois dire que cette expérience a été une véritable épiphanie olfactive : j’ai tout simplement adoré. De la partie théorique (où l’on apprend qu’un parfum se décomposer en trois notes : note de fond, note de coeur et note de tête, chacune avec une durée et une intensité différente) à la partie pratique, je me suis senti tout du long comme un gosse au pied du sapin de Noël. Cependant, j’ai noté que certains participants étaient quelque peu déçus par l’expérience. Apparemment, ils s’attendaient à composer une fragrance de rêve au cours de l’atelier. Et là, clairement, ils rêvaient complètement. Parce que la conception d’un parfum demande une sacrée méthode. Et même lorqu’on jouit d’un bon odorat (comme c’est mon cas), on est vite paumé devant l’orgue à parfum et ses quelques 128 fioles ! En plus, marier toutes les senteurs que vous estimez le plus donne rarement un résultat satisfaisant : il faut savoir y ajouter d’autres que vous n’appréciez pas, mais qui donnent de la profondeur à votre fragrance. Et puis, même si vous imaginez la note de fond de vos rêves, cela ne veut pas dire que vous ne bousillerez pas l’ensemble avec la note de coeur une heure plus tard ! En bref, autant vous dire que ce serait un véritable exploit que de fabriquer le parfum ultime en si peu de temps. Pour ma part, la fragrance que j’ai élaborée me fait penser à ces cravates en soie qu’ont peintes à la main mes enfants pour la fête des pères : j’apprécie le geste, mais je ne les mets jamais pour le travail. Allez savoir pourquoi… Cela dit, l’expérience est tellement passionnante à vivre que même sans avoir obtenu le parfum de mes rêves, j’ai passé un excellent moment. Il est même possible que je m’y remette, plus tard dans l’année. Si vous voulez plus de détails, voici le site où j’ai déniché ce stage de création de parfum. Je l’ai effectué à Paris, mais l’on peut en faire un peu partout. Suivez le lien pour en savoir plus.
La publication du rapport annuel du département de la Défense des États-Unis selon laquelle la Chine a été accusée d’expansion militaire a suscité la vive colère des autorités chinoises. Selon un rapport du Pentagone, la Chine envisage de créer des bases militaires au Pakistan et en mer du Sud. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying a qualifié de mensonge ce rapport avant de rejeter catégoriquement de tels sujets. « La Chine établit des relations très amicales avec d’autres pays et toute spéculation en cette matière est superflue », a-t-elle ajouté. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a souhaité que les États-Unis laissent de côté la pensée de la Guerre froide et adoptent une approche logique vis-à-vis de l’expansion militaire de la Chine. Selon le rapport du Pentagone, la Chine aurait dépensé 180 milliards de dollars l’an dernier pour son armée. Ce chiffre serait supérieur à celui communiqué par Pékin, qui serait de 140 milliards de dollars. Des responsables américains estiment que la Chine a l’intention de mettre sur pied des bases militaires dans d’autres pays pour ainsi raffermir sa puissance militaire. « La Chine n’aura aucun programme pour une expansion militaire et ne suit aucun plan pour renforcer une influence militaire », insiste le ministère chinois de la Défense dans un communiqué émis en réaction au rapport annuel du Pentagone.
À Bangalore, Attakkalari, une association indienne, qui depuis plus de vingt ans œuvre pour la formation de danseurs contemporains, crée en 2001 la première biennale de danse contemporaine en Inde afin de présenter des travaux chorégraphiques d’envergure internationale et de créer un tremplin pour les jeunes chorégraphes émergents. L’association est co-productrice de toutes les créations en mettant ses locaux et son personnel technique et administratif à disposition des résidents. Le festival est également soutenu par de nombreuses organisations culturelles telles que le ministère de la culture indien, le département du tourisme du Karnataka, l’ambassade de Norvège, l’institut Goethe, la fondation Pro Helvetia, l’Institut français en Inde et de nombreux autres partenaires.
Cette huitième édition est la plus importante depuis la création de l’évènement. Son slogan « Bangalore Moves » traduit l’ambition de susciter un engouement pour la danse contemporaine et son développement au-delà des réseaux actuels. Sur la scène principale sont attendus la compagnie française CCN2 de Rachid Ouramdane, la compagnie canadienne Marie Chouinard ou encore les Espagnols de la compagnie Guy Nader-Maria Campos. Dans cet environnement multiculturel, les chorégraphes sud-asiatiques du programme « Platform – emerging South Asia » bénéficient d’un auditoire de programmateurs internationaux. Enfin, FACETS, le programme de résidence, offre un espace de création privilégié à de jeunes chorégraphes dont le manque de moyens et d’espaces adéquats restreint souvent les possibilités de création.
Un mois avant le début du festival, les sept danseurs-chorégraphes en résidence rejoignent les studios d’Attakkalari pour travailler à la création d’une nouvelle pièce d’une dizaine de minutes. Ils sont pour la plupart indiens, originaires de Bombay, Delhi et Bangalore. L’un est originaire de Dakha au Bangladesh. Faute de moyens, il est le seul représentant d’Asie du Sud hors Inde sélectionné par le jury de FACETS. Enfin, deux chorégraphes internationaux sont présents, grâce au soutien d’organisations culturelles de leurs pays respectifs : InKo Centre et Arts Council Korea pour la Corée du Sud et Dancebase Edinburgh au Royaume-Uni.
Tahnun, le résident bangladeshi, est, dès le premier jour, impressionné par la taille du studio principal. Il s’estime chanceux et prend cette opportunité très au sérieux : « nous n’avons pas d’infrastructures semblables au Bangladesh ». À Dakha, il vit principalement des « corporate shows », des soirées d’entreprises. Pour pouvoir vivre de son métier de danseur, il pratique divers styles et techniques. Formé initialement au kathak — danse traditionnelle du nord de l’Inde — à Calcutta, il a également des notions de danse classique, contemporaine et claquettes qui l’aident à répondre aux attentes de ses clients. Malgré les difficultés et le peu de goût des Bangladeshi pour la danse contemporaine, Tahnun dit vouloir ouvrir la voie pour une scène qui parlerait de l’identité des habitants du Bangladesh et que ceux-ci pourraient comprendre.
Surabhi, elle, vit à Bangalore. Après un début de carrière comme ingénieur informatique chez Google, elle démissionne en 2013 pour entamer une formation à Attakkalari puis se lancer dans une carrière de danseuse professionnelle. « J’ai toujours fait de la danse comme loisir : danse moderne, danse Bollywood… Un jour j’ai découvert la danse contemporaine et je me suis sentie en adéquation parce que ça me permettait de lier l’intellectuel au mouvement ».
Meghna a grandi à Delhi où elle s’est formée à la danse classique et contemporaine. Durant sa scolarité, elle a bénéficié d’une bourse pour participer à un programme d’échange de trois mois au centre Marameo de Berlin. Sur les réseaux sociaux, elle fait part de sa joie de danser de nouveau pendant un mois. « À Delhi, la location de studios coûte très cher, donc c’est compliqué de trouver des lieux pour répéter ».
Il y a des absents. Au Pakistan, la danse considérée comme obscène est interdite depuis 1981 par la clause numéro 7 du « NOC » — No objection certificate (1) —, texte issu du Dramatic performances act (2) de 1876… Même en Inde où les arts se développent dans les villes, la liberté du corps, notamment pour les femmes, reste bien souvent un tabou. La création d’un espace qui soutienne la liberté du corps en Asie du Sud est donc loin d’être un acte neutre tant il constitue une opportunité pour faire entendre des voix dissonantes face à l’oppression des corps — mais aussi face à une certaine prédominance occidentale sur les scènes internationales.
La spécificité de FACETS ne tient pas uniquement aux parcours de ses résidents mais aussi à la présence de « mentors » internationaux, des professionnels reconnus dont la mission est d’épauler les jeunes chorégraphes dans leur processus créatif. Cette année, à l’exception d’un designer son indien et d’un chorégraphe sud-coréen, aucun des mentors n’est originaire d’un pays sud asiatique. Ils viennent de Suisse (un designer son et deux designers lumière), d’Espagne (un dramaturge associé à Fabbrica Europa en Italie), du Portugal (une chorégraphe). L’influence culturelle européenne se manifeste ici de manière concrète.
De fait, les compagnies invitées ne pourraient pas financer leurs séjours sans le soutien des réseaux culturels diplomatiques de leurs pays de production. L’organisatrice du festival, Ruhi Jujunwallah, tient à développer un festival international qui ne soit pas « blanc » : « pour faire venir la compagnie sud-africaine, nous avons dû nous y prendre près de deux ans à l’avance afin qu’ils aient le temps de faire les demandes de subventions nécessaires ». Les moyens et l’implantation des organismes de diplomatie culturelle de certains pays influencent ainsi profondément les choix de programmation. À Bangalore, tout au long de l’année, le calendrier de la création contemporaine est majoritairement rythmé par les organismes suisse, allemand et français, dont l’apport financier est essentiel au développement des arts non traditionnels. Malgré la diversité de leurs approches, axées soit sur les collaborations entre des artistes de leurs pays et des artistes indiens, soit sur la simple diffusion d’artistes de leurs pays, ces organisations propagent, parfois malgré elles, l’idée d’une supériorité culturelle européenne.
Il est vrai que le manque de moyens de création et de diffusion des artistes sud-asiatiques fait obstacle au développement de la scène locale. En Inde par exemple, l’accent est mis avant tout sur les arts traditionnels. La danse contemporaine y est encore jeune alors qu’elle est quasi inexistante dans d’autres pays de la région. Ainsi, l’admiration des artistes sud-asiatiques pour les scènes contemporaines européennes les conduit parfois à une certaine schizophrénie — puiser dans leur héritage leur paraît toujours plus difficile qu’aux Européens. Pourtant, pour l’Inde par exemple, yoga, bharatanatyam (danse du sud de l’Inde), kathak, kathakali (tradition de danse-théâtre du sud de l’Inde), kalarippayatt (art martial méconnu du sud de l’Inde), chhau (forme de danse semi-classique) offrent un riche répertoire de formes. Mais s’en nourrir pour les réinterpréter, par delà le fanatisme religieux, les traumatismes coloniaux et une certaine routine, demeure ardu. L’apport de traditions asiatiques telles que le yoga, le taï-chi ou encore le qi gong a participé à l’évolution de l’approche du corps, du temps et de l’espace en danse contemporaine. Elle demeure pourtant une discipline largement issue de la tradition occidentale des pays où la plupart des chorégraphes qui s’en revendiquent ont vécu et se sont produits.
Tandis que les chorégraphes contemporains occidentaux se contentent en général d’exprimer leur imaginaire en mouvement, sans souci de définir a priori leurs influences, certains chorégraphes indiens se trouvent parfois confrontés à la nécessité de désapprendre. Par exemple, le bharatanatyam nécessite un entrainement extrêmement varié et sophistiqué — jeux de pieds, de regard, travail pointu des rythmes, mimiques faciales — dont l’apprentissage est un enrichissement pour la connaissance du mouvement, mais qui nécessite encore de trouver comment le faire jouer dans une conception contemporaine. L’enjeu, c’est l’intégration d’une jeune scène de danse contemporaine indienne à une scène internationale préexistante et dominée par des standards européens.
De nombreux artistes indiens qui se revendiquent de la scène contemporaine ne sont pourtant pas essentiellement préoccupés par la recherche d’un héritage traditionnel. « Je me considère comme faisant partie d’une génération sans nationalité, témoigne ainsi Meghna. Du fait de l’Internet, j’ai le sentiment d’appartenir à de nombreuses cultures, choix, identités et nations ». À l’opposition entre Est et Ouest, elle préfère opposer « humain et nature, violence et non violence et même humain et non-humain ». Meghna illustre ainsi les multiples identités et clivages qui traversent l’Inde, de modes de vie traditionnels à l’émergence d’une génération que l’on pourrait qualifier de postmoderne.
Cependant, l’espoir de rencontrer, en oubliant son héritage propre, les critères esthétiques internationaux définis par l’Occident conduit souvent, sinon à la perpétuation d’un imaginaire de domination européen, du moins à une certaine monotonie dans la création. Le développement d’une scène de danse contemporaine pourrait toutefois, avec le temps, donner lieu à des travaux de plus en plus intéressants. Dans le cadre du programme Platform de la biennale, le chorégraphe Mandeep Raikhy présentait « Queen Size », mettant en scène deux hommes dans des positions explicites sur un charpoy — lit traditionnel de la région du Kerala — devant un public restreint d’une vingtaine de personnes qui les entourait et se trouvait ainsi dans l’impossibilité de détourner le regard ou de quitter la salle. Cette chorégraphie faisait référence à ce qui est communément appelé la section 377, un article qui criminalise l’homosexualité en Inde. Puisant dans un imaginaire indien mais au travers de mouvements et d’une approche critique résolument contemporains, le chorégraphe parvenait ainsi à impliquer le spectateur pour le questionner sur son rapport à l’homosexualité. Un bon exemple de cette volonté de décolonisation de l’imaginaire qui est la marque de la biennale de Bangalore.
Bibliographie
•Danses et identités. De Bombay à Tokyo, éditions du CND, 2009
•Tilt Pause Shift : Dance ecologies in India, 2016
•Time and space in asian context : contemporary dance in Asia, 2005
•Intercultural Contemporary Dance in Malaysia. Challenging hegemony and presenting alternative national identities through contemporary dance, Joseph Gonzales, 2010
•Labels, Histories, Politics : Indian/South Asian Dance on the Global Stage, in Dance Research, Edinburgh University Press, 2008